Histoire - topic privé Petites nouvelles sur Tamriel...

Senjak

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Mijak#7477
Salut,
Je participe régulièrement à un club d'écriture et j'y fais parfois des fanfics de TES (entre autres). Je vais en mettre quelques unes ici (d'autres si je prends le temps de les transcrire de mon cahier à l'ordi). Ce n'est rien d'ambitieux, juste des petites histoires. Celle sur l'Aube Intermédiaire à cependant la prétention de vouloir ressembler au genre de bouquin qu'on peut trouver çà et là dans Tamriel (et pour le coup n'est pas vraiment une fanfic, juste une tentative de synthèse).
[Note du staff] Si vous voulez commenter ses écrits, postez sur ce topic ! :P
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L'Amphithéâtre du Délire

Face au médecin qui se trouvait de l’autre côté de la table, Phinéas rouvrit les yeux, le regard dans le vide.
— Reprenons, si vous le voulez bien, fit le psychiatre à son adresse. Vous me parliez du moment où vous avez découvert cette porte…
— Le portail, l’interrompit Phinéas. C’était un portail comme une gueule béante prête à vous avaler ; une mâchoire démesurée qui aspire vos pensées…
— Ce portail, donc, acquiesça le médecin. Une fois que vous l’avez traversé, que s’est-il passé ?
— Il y avait un homme.
Le médecin attendit quelques secondes, puis répéta :
— Un homme ?
— Un homme, oui. Il était assez âgé, chauve, assis comme vous derrière une table, et il y avait une chaise face à lui.
— Qui était cet homme ?
— Le conseiller du Prince, répondit négligemment Phinéas. Il m’a dit qu’il m’attendait. Il m’a dit que je devais être jugé. Que je ne pouvais y échapper !
— Calmez-vous, Phinéas. Vous êtes en sécurité ici. Pourquoi voulait-il vous juger ? Qu’aviez-vous fait ?
— Mais rien ! Je le jure ! Il m’a dit que si je voulais traverser vers les Îles, je devais être jugé par ses habitants.
— Les îles ? Vous vouliez aller dans des îles ? demanda le médecin.
— Pas des îles. Les Îles Chatoyantes.
Le visage de Phinéas s’était soudainement éclairé, comme baigné dans une félicité religieuse. Le docteur nota quelques mots sur son carnet.
— Parlez-moi de ce jugement, maintenant. Lors de précédentes sessions vous avez parlé d’une grande place, je crois, et d’une foule.
— C’était un amphithéâtre. Les gradins montaient si haut qu’on aurait dit que l’univers s’arrêtait après ce point. Tout le monde l’appelait l’Amphithéâtre du Délire.
Après un nouveau silence, le psychiatre reprit :
— Vous ont-ils dit de quoi ils vous accusaient ?
— Oui. C’est le Prince en personne qui a prononcé les charges d’accusation. J’étais condamné à l’éternité dans les faubourgs de Shéos pour avoir volé une cuillère.
Le docteur prit de nouvelles notes dans son calepin.
— Le prince, demanda-t-il à Phinéas, qui était-il ? Quelqu’un que vous aviez déjà rencontré ?
— Bien sûr. Tout le monde connaît le Prince. Le Prince est notre bienfaiteur !
Le médecin acquiesça silencieusement.
— Et votre… bienfaiteur, vous a-t-il condamné ?
— Oui, je devais expier ma faute. Dans la foule les gens avaient déjà commencé à se dévorer les uns les autres. J’ai plaidé coupable. J’avais la cuillère sur moi, même si je ne l’avais pas volée. Je l’avais jute prise la nuit chez le seigneur de Mania, durant son sommeil.
— Mais, fit le médecin en reposant doucement son stylo, ne pensez-vous pas que cet acte est du vol ?
— Non ! Non ! Non !
Phinéas se mit à hurler, se débattre, clamant son innocence, et les infirmiers virent l’amener avant qu’il ne se saisisse du stylo sur la table. Le docteur, stoïque, rangea ses affaires et se leva, quittant la scène jusqu’à la prochaine séance.
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La Boussole du Fou

Dans un angle de la rue se profilait la boutique de Calixto. Il s’agissait en fait plus d’un musée, qu’il appelait fièrement le “Bazar des Curiosités”. Chaque client qui passait le seuil de la porte était accueilli chaleureusement – Calixto n’avait pas tant de visiteurs que ça. Pourtant, sa collection valait le détour. Tolgan en savait bien quelque chose ; c’était lui qui lui avait procuré nombre de ses pièces. La Flûte du danseur, la Cuillère à soupe d’Ysgramor… les Nordiques de la ville appréciaient particulièrement cet objet. Ysgramor était un personnage historique, et les légendes qui l’entouraient étaient nombreuses.
Tolgan entra dans le musée et parcourut la pièce des yeux. Peu de choses avaient changé. Sur l’étagère face à lui, le Livre du Destin était toujours là ; seul élément n’avait pas besoin d’être débarrassé de sa poussière. Chaque visiteur était invité à le consulter ; son contenu y était différent pour chacun, mais il arrivait cependant que certaines personnes n’y voient qu’un ouvrage vierge.
À côté du livre se trouvait un nouvel élément, et Tolgan fronça les sourcils pour l’identifier. Il s’agissait d’une boussole, il reconnaissait bien l’objet. Ce genre de choses n’était pas très répandue, surtout ici, en Bordeciel. Les étoiles étaient là pour guider les enfants de Kyne, nul besoin de ces gadgets.
Calixto apparut alors de la pièce adjacente au musée, et salua son associé.
« Non, rien pour toi aujourd’hui, vieil homme. Mais dis-moi plutôt, cette boussole sur l’étagère, qu’est-ce qu’elle a de si particulier pour mériter sa place ici ?
– Ça ? fit Calixto en s’avançant vers l’artefact. Je l’ai récupéré très récemment ; elle est arrivée ce matin de Cyrodiil. C’est la Boussole du Fou. »
Tolgan s’avança à son tour pour se saisir de l’objet, et Calixto continua :
« Un des nombreux mythes de Shéogorath, le prince daedra, raconte qu’un jour de Sombreciel, un homme de Haute-Roche a invoqué les dieux pour répondre à sa détresse. L’homme avait récemment perdu femme et enfants dans une attaque de bandits, et depuis son retour chez lui, il n’avait ni envie, ni motivation pour quoi que ce soit. Alors il s’était adressé au Divin Julianos, cherchant sagesse et savoir, pour lui demander un indice, un guide, une route à emprunter pour le sortir de son désespoir. Mais on sait combien les princes d’Oblivion, et en particulier Shéogorath, sont à l’écoute du moindre prétexte leur permettant de s’impliquer dans Mundus et de jouer avec la vie des mortels. Le Prince de la Folie est donc apparu à cet homme tourmenté. “Fais ce que tu veux !”, lui a-t-il dit, “tu es libre, maintenant !” L’homme endeuillé, ne goûtant pas à la plaisanterie du daedra, répondit : “mais je ne sais pas ce que je veux”. Alors Shéogorath lui offrit cette boussole. “Elle t’indiquera toujours la direction de ce que tu veux vraiment”, expliqua-t-il.
À partir de ce jour, l’homme se mit à vagabonder. Il suivit l’aiguille sans réfléchir, confiant et fervent. Mais plusieurs fois, au milieu d’une route, ou en traversant une ville, elle changea de direction indiquée. L’homme tournait toujours ses pas là où elle lui disait d’aller, et pendant des années il erra ainsi dans tout Tamriel, revenant parfois sur ses pas ou tournant en rond. L’aiguille était inconstante, mais lui toujours fidèle.
Les gens se mirent à le reconnaître, le voyant déambuler avec sa boussole, passant et repassant, s’arrêtant soudain, changeant de direction. Il avait depuis longtemps perdu l’esprit.
Puis un jour, l’aiguille se mit à pointer vers lui. Où qu’il se tourne, la boussole indiquait toujours le fou qui la tenait. Alors, après être resté immobile et indécis pendant des heures, il tira son couteau de sa ceinture et se trancha la gorge. Puis il partit rejoindre le prince daedra dans son royaume d’Oblivion. »
Tolgan, qui avait interrompu son geste, abaissa sa main. Les artefacts des princes démoniaques étaient pour lui une abomination. Il avertit poliment Calixto du fait que les Vigiles, qui chassaient toute présence daedra, pourraient en avoir vent ; puis il repartit suivre sa route, ne pouvant s’empêcher de se demander ce que la Boussole du Fou lui aurait indiqué, à lui.
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L'Aube Intermédiaire

Durant la première moitié de l’ère première, avant l’empire de Reman Cyrodiil et bien avant l’avènement de Tiber Septim, deux mille six cents ans plus tard, il existait en Tamriel un ordre militaire autant que religieux qui vénérait la Sainte Alessia, sauveuse des Hommes, qui avait libéré en Cyrodiil l’humain du joug elfique des Ayléides durant le troisième siècle de cette ère.

L’Ordre Alessien avait été fondé un siècle après la mort de Sainte Alessia, par le prophète Marukh, qui avait rédigé des textes rigoureux et sévères quant à la vénération d’Alessia et la nature divine des croyances humaines contre la rémanence d’une soumission elfique à travers le culte, instauré par Alessia, des Huit Divins. Ces Doctrines Alessiennes furent à l’origine de la fondation de l’Ordre, également appelé Ordre des Saints Frères de Marukh. Cet Ordre combattit les elfes sur Tamriel, élargissant leurs frontières et conquérant sans relâche les terres comme les esprits en propageant leur doctrine monothéiste. En 482, les elfes Direnni de Hauteroche réagirent face à la contagion alessienne qui dépassait les frontières de Cyrodiil, tout d’abord en interdisant le Culte Alessien sur leur territoire mais également en menant plusieurs campagnes agressives contre les territoires annexés par l’empire humain. Cela mena l’Ordre à participer, ainsi que d’autres armées humaines, notamment nordiques, à la Bataille des Landes de Glénumbrie qui vit la défaite de l’Ordre mais le retrait des Direnni sur l’île de Balfiera, après que les Brétons, voyant les elfes affaiblis, eurent repris possession de leurs terres.

L’Ordre Alessien, également affaibli par le conflit, dut faire face à une opposition des royaumes coloviens et nordique face à l’hégémonie expansionniste et intégriste de leur Culte. En Bordeciel, le roi Wulfharth, qui avait remplacé Hoag Tueur-de-Mer, mort durant la bataille contre les Direnni, coupa définitivement les liens avec l’Empire et déclara l’Ordre hors-la-loi.

Durant ces siècles où l’Ordre Alessien luttait pour chasser toute trace restante de l’esclavagisme ayléide en Cyrodiil, détruisant les temples et faisant preuve d’intransigeance, naquit une faction extrémiste de cet Ordre qui vénérait Alessia avec fanatisme et était déterminée à chasser du panthéon divin des Huit toute l’influence Aldmeri. Créés à l’origine par la doctrine du prophète Marukh ou par Marukh lui-même, ils furent les Élus Marukhati.

En l’an 1200 de la première ère, cette secte fanatique, dont l’objet était de séparer l’essence divine des Huit de leur nature fondamentalement elfique qui se répandait dans la théologie et les pratiques des Hommes, tenta par des moyens inconnus ou soupçonnés, les violations des lois de Mundus ou des sortilèges interdits et ignorés des mortels, de détacher la nature même d’Akatosh de son homologue elfique, Auriel ; car c’était pour eux une insupportable vérité qui les liait encore et toujours aux Aldmers.

Il est dit que les Élus Marukhati canalisèrent l’Aurbis lui-même ; réalité absolue de toute chose, univers que se partagent les essences jumelles d’Anu et de Padomay, pour évincer du Dieu Dragon toute trace de ce qui faisait son ascendance elfique. D’après les témoignages historiques recueillis sur la période trouble qui plongea Tamriel, et probablement Nirn tout entier, dans la confusion ; une tour s’éleva autour de laquelle dansèrent les Élus, puis elle se tordit et lorsqu’ils prononcèrent le vrai nom du Dieu Dragon, elle se brisa avec le Temps lui-même. Car Akatosh-Auriel est le Temps, et cette brisure, cette Cassure du Dragon provoqua ce que l’on appela par la suite l’Aube Intermédiaire ; car tout alors sur Tamriel, la réalité, les liens causaux, la vie et la mort, revint dans l’état où était le monde avant la naissance même de l’Histoire ; durant l’ère de l’Aube.

Le désastre dura mille et huit années durant lesquelles les fragments de la tour volèrent à travers les cieux, tombant comme des étoiles. Lorsqu’elles purent trouver le repos sur le sol mortel de Nirn, le temps reprit son cours. Tous les peuples de Tamriel gardèrent le souvenir de cet événement sous des formes dissemblables, contradictoires, angoissées. Durant ces années obscures et inconnues se produisirent conflits, empires et événements historiques dont le monde ne garda nulle trace.

Plus de cent ans après la fin de l’Aube Intermédiaire, la secte des Élus Marukhati fut détruite en même temps que l’Ordre lui-même lors de la Guerre de la Vertu, par la Colovie à l’ouest, qui brûla les temples et les bibliothèques, ne laissant nulle trace de savoir qui auraient pu nous renseigner sur si, oui ou non, les Élus étaient parvenus à leur fin.

La suite de l’histoire nous est connue ; la Colovie et la vallée du Nibenay furent réunifiées sous Reman Cyrodiil, qui fonda le Second Empire humain. Le débat existe toujours quant à l’existence réelle des Cassures du Dragon, car ce ne fut pas la seule, elle ne fut ni la première ni la dernière. Certains, comme Fal Droon dans “la Cassure du Dragon revisitée” mettent en doute l’existence de l’Aube Intermédiaire, prétextant une erreur chronologique due à l’absence de documents historiques datant de l’époque de l’Ordre Alessien, et prétendent que cet ordre n’aurait existé que durant une très courte période. Mais c’est nier les autres périodes où le temps a été distordu, ou les distances et les événements se sont entremêlés, changeant les lois de la réalité, faisant des causes des conséquences. Tel est le prix à payer lorsque nous jouons le jeu des dieux, et qui sait ce qui peut encore arriver. Le Dragon s’est déjà brisé, et cela se reproduira, car toutes les réponses n’ont pas été données.
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Senjak

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Mijak#7477
Bon, le confinement a ça de bon que je me décide enfin à transcrire mes textes...
Pour le second sur le Numidium, excusez l'inexactitude relative, je l'ai écrit, comme l'autre, hors de chez moi, sans les références sous la main, sans les détails en tête et avant d'avoir vu l'excellente vidéo de MrElderScrolls sur le sujet.

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Kithan dans le Cairn

L’effet d’optique était déroutant. Pour Kithan, qui avait toujours vécu dans une région vallonnée, voir une telle étendue plane et désertique bouleversait tous ses repères.
Son arrivée dans ce lieu semblable à nul autre, terrifiant par son aspect et vide de toute chose, aurait dû le terrifier. Il voyait à quel point l’endroit était horrifique, mais ne ressentait pas la peur qui aurait dû y être associé. Quelque part, ce détail lui-même lui faisait comprendre que rien de tout cela n’était anodin. C’était cet état des choses qui lui confirmait qu’il était bel et bien mort.
Le sol sous ses pieds était un désert de sable gris et noir, difficile à percevoir dans cette pénombre permanente. Au-dessus de sa tête, le ciel était un plafond de nuages statiques, grondant et tonnant, noir comme la suie.
Après avoir fait quelques pas dans le sable dense, Kithan s’aperçut qu’il n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé. Avec détachement, il se fit la réflexion qu’il aurait tout aussi bien pu être là depuis des heures, voire des jours.
N’ayant rien perdu de la rigueur mentale qui l’avait désigné pour cette mission, il repassa dans son esprit le fil des évènements l’ayant amené ici. Il se souvint des conseils de la prêtresse d’Arkay : « la densité de l’air autour de toi changera en fonction de la proximité d’une âme ». Elle avait rajouté avec philosophie : « bien sûr, il n’y a pas d’air dans le Cairn, mais cela ne doit pas t’empêcher de respirer ».
Kithan inspira, pour se rappeler à sa mortalité, puis il tendit les bras en croix et se laissa guider dans la direction où l’air frémissait le plus.
« Les Maîtres Idéaux voient les vivants comme des menaces, avait dit Sathi, agis comme les âmes que tu rencontres, avec calme et passivité. »
Kithan n’avait encore rencontré aucune âme errante, mais agir avec passivité n’était pas un grand effort ici, il lui semblait que sa vivacité et ses forces lui avait été ôtées.
L’épaisseur de l’air grandit devant les pas de Kithan, jusqu’à ce qu’il perçoive une forme dans le lointain. Dû à la planitude du Cairn et de son infinité, la distance à parcourir fut encore bien longue, et la forme, quand il fut à ses pieds, s’avéra être le tronc mort de ce qui avait dû être un arbre, pour autant que la présence d’un arbre en ce lieu ait un sens. Cette chose avait-elle même vécu, à un moment ?
Dans le grand calme entêtant et engourdissant, Kithan remarqua tardivement qu’une forme éthérée se tenait au pied du tronc mort. Ses contours étaient flous et bien plus pâles que les fantômes qu’il avait déjà rencontrés sur Nirn. Ce fut l’esprit qui prit la parole le premier.
— Un vivant parmi les morts. Quelle sottise. Nul ne vient dans le Cairn de son plein gré, car nul n’en ressort jamais.
Kithan le considéra, étonné. Voilà une âme lucide et cohérente ; les morts ne l’étaient jamais, d’après son expérience. Les esprits rattachés au monde des mortels cherchaient toujours à résoudre une forme viciée de la rancune qu’ils gardaient envers leur temps de vie. Peut-être cependant que cette âme pourrait l’aider.
— Je cherche Tibald de Saarthal, dit Kithan sur ce même ton évanescent. Savez-vous où il se trouve ?
— Comment le saurais-je ? répondit le mort. Des millions d’âmes errent dans cet enfer infini.
— Tibald n’est pas une âme, dit Kithan. Il est vivant, lui aussi. Vous sentez les vivants, n’est-ce pas ? ajouta-t-il sur une intuition.
L’âme immatérielle regarda Kithan pendant un long moment, si long que Kithan pensa que sa lucidité l’avait abandonné. Mais alors il parla à nouveau.
— Ici, on l’appelle le Convoyeur. Il amène des âmes aux Maîtres. Il est protégé, depuis qu’il a dévoré le Faucheur. Il ne tardera pas à venir à vous.
Le mort se tut, et le silence absolu retomba sur le désert enténébré. Kithan hocha la tête et se détourna.
— Pourquoi cherchez-vous le Convoyeur ? demanda alors le mort dans son dos.
— Les âmes que Tibald apporte aux Maîtres Idéaux sont celles de mes compatriotes, répondit Kithan. Du temps de l’immigration Atmorienne, Tibald a semé la terreur par sa folie meurtrière, dans ses propres rangs autant que ceux de l’ennemi. Une secte de nécromanciens, par vengeance, l’a envoyé corps et âme dans le Cairn. Il a passé des millénaires ici, jusqu’à peu ; il a réussi à se libérer et revient pour tuer, à nouveau, sur Nirn.
L’âme face à Kithan ricana, puis se mit à rire aux éclats.
— Pour que les mortels se préoccupent du sort des âmes piégées, il a fallu qu’un paladin vertueux soit vexé de voir mourir ses amis ! Le Cairn est plein de drames et de morts insensées, je ne te vois pas courir pour empêcher ces massacres, petit héros. Dis plutôt merci au Convoyeur, qui a attiré le regard des Vigiles sur les hérésies nécromanciennes !
— Comment savez-vous que je suis un Vigile de Stendarr ?
— Qui d’autre viendrait défendre la justice jusque dans le Cairn de l’Âme ? demanda le mort avec malice. Vous seriez étonné de la quantité d’âmes de vos compagnons qui peuplent ces landes. Vous vous êtes enfin décidé à cesser votre cache-cache puéril avec les daedra ?
Kithan recula d’un pas alors que la compréhension s’imprimait sur son visage. Il posa la main sur la poignée de son épée.
— Tibald de Saarthal, commença Kithan sur un ton sentencieux, vous avez été jugé menace par les Vigiles, et devez mourir.
Tibald se remit à rire.
— Idiot ! Ne vois-tu pas ? Je suis déjà mort. Pourquoi crois-tu que je puis revenir sur Nirn, ces cinq dernières années ? Je suis libéré de mon corps, et je peux traverser librement, car les Maîtres Idéaux me protègent, désormais.
La lame de Kithan n’était pas d’un simple métal affuté Les huiles qui la recouvraient tranchaient l’aether aussi bien que la chair. Il fit un signe de salut à son dieu et tira l’arme de son fourreau. Face à lui, l’âme meurtrière du Nordique millénaire se leva avec un rictus moqueur.
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Le réveil du colosse

L’immense golem d’airain s’élevait jusqu’au plafond de la caverne, dont les hauteurs étaient indiscernables. Le bruit de ses pistons, la lumière qui se reflétait sur les immenses plaques de métal cuivré ; tout émerveillait son créateur, empli d’une fierté paternelle.
— Il tient ! s’exclama-t-il. Il fonctionne !
— Maître Kagrénac, s’éleva la voix ténue de son premier assistant, la pression du caisson central est au-dessus des estimations, peut-être devrions-nous…
— Au-dessus ! l’interrompit le savant. Bien sûr qu’il est au-dessus ! Mon Numidium est au-dessus de tous ! Il n’est pas n’importe quelle machine, mais un dieu ! Il possède désormais la puissance d’un dieu !
Le bruit assourdissant des mécanismes internes du golem résonnait dans la caverne, où depuis des décennies le savant Kagrénac tentait d’amener son peuple à l’ascendance divine. Sous le titanesque Mont Vvardenfell dormait une puissance dissimulée depuis l’aube du monde, et elle était à la portée des mortels ; c’était la puissance d’un dieu, le plus grand, le plus sage des dieux, trahi par ses frères.
Kagrénac avait bâti ce réceptacle au Cœur, afin d’exploiter sa puissance, de tester ses limites. Les divins étaient des êtres pathétiques, régnant sur des fourmis. Son peuple, les Dwemers, méritait mieux que de telles fraudes ; leur dieu serait d’airain, de métal et de vapeur. Il serait Numidium. Le golem invincible au cœur d’un dieu.
— Maître Kagrénac, insista son assistant, le métal doré n’a jamais été prévu pour contenir la puissance divine ! Le Cœur de Lorkhan ne fait qu’accroître la pression des circuits hydrauliques. Nous risquons la perte de contrôle, ou la destruction de la caverne, peut-être même du Mont tout entier !
— Non. Le Numidium tiendra, fais confiance au Cœur. Une fois que nous le libérerons, il se stabilisera. Le surplus de pression est un signe de son invincibilité. Une fois que les armées chimers auront été écrasées, notre peuple sera libéré des chaînes de son ascendance viciée.
Au-dessus d’eux, il sembla que l’horrible grincement de la machine d’airain était le hurlement de fureur d’un géant. Kagrénac regarda son œuvre avec fierté. Les dieux avaient tué Lorkhan, jeté son cœur sur Nirn, et c’était lui, le sage Kagrénac, qui le détenait aujourd’hui.
— Maître Kagrénac ! appela un soldat derrière lui. L’armée du général Nérévar a pénétré le temple.
— Détachez les entraves ! cria Kagrénac, libérez le Numidium !
Les lourds étais et les chaînes tombèrent avec fracas, et le Numidium poussa un nouveau hurlement de vapeur et de pression. Sur la face austère de son visage figé, de grandes gemmes rougeoyantes se mirent à briller.
 

Senjak

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Mijak#7477
Un petit texte que j'ai écrit pour le dernier jour du Camp NaNo en juillet, sur des thèmes que j'avais tiré aléatoirement.
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L'appel du sang

Les cadavres des bandits jonchaient les marches qui montaient aux ruines en hauteur. Ça n’avait pas été de la tarte, mais ils avaient fini par sortir, tous en même temps, et nous avions pu en venir à bout.
— J’ai bien cru que tu allais y passer, cette fois ! s’exclama alors Sérana en revenant vers moi.
La lame de sa dague était étrangement propre. Je ne dis rien et pinçais les lèvres avant de lui sourire.
— Tu te fais trop de soucis pour moi, après tout je suis l’Enfant de Dragon.
— Indubitablement. On a dû t’entendre gueuler depuis Blancherive.
— Ah ben ça… ça fait partie du métier, répondis-je en haussant les épaules.
Nous commençâmes à monter. J’estimais que tous les malfrats avaient été débusqués, à moins que certains ne se cachent… Le Jarl nous donnerait une belle somme pour la tête de leur chef. Restait plus qu’à trouver son corps.
— Et sinon, dis, tu fais quoi ce soir ?
Sérana me lança un regard écarlate. Son visage était toujours aussi rayonnant ; sa peau ne portait pas le moindre signe de transpiration et ses cheveux étaient toujours aussi parfaitement coiffés.
— Ce soir ? On a pas dit qu’on allait au château, ce soir ?
Je fermai les yeux en hochant la tête, me souvenant du plan, presque avec regret.
— Ah oui, le château…
— Quoi, tu veux plus venir ?
— Non, c’est pas ça, répondis-je, c’est juste… ta mère…
— Quoi ma mère ?
— Sérana ?
Nous nous étions arrêtés au milieu des marches. La jeune et belle vampire avait tourné la tête et regardait fixement le corps d’un des bandits, une flèche en travers de la gorge. Il était affalé en travers de l’escalier, son sang dégoulinant en quantité sur la pierre. Je levai les yeux au ciel.
— Oui, oui, vas-y…
— Je peux ? fit Sérana, se tournant vers moi avec le regard pétillant.
— Le but n’est pas de te frustrer, Sérana, répondis-je. C’est que de toi-même tu cesses. Falion ne fera pas de miracle, tu sais ? Tu dois le vouloir.
— Oui, je sais. Mais c’est si bon, tu vois…
Je hochai la tête tristement. Moi-même je me souvenais des quelques jours où j’avais laissé s’infecter une plaie anodine, pour me rendre compte ensuite que le soleil m’éblouissait plus que d’habitude et qu’il faisait étrangement plus chaud, en Bordeciel. J’avais goûté, juste pour la science, au sang chaud d’un voleur qui avait sottement tenté de me détrousser au cours de mon voyage vers Morthal.
— Ok, ok ! Ça suffit, Sérana ! Si quelqu’un te voit, c’est moi qui vais avoir des soucis.
Je la tirai par le bras et la relevai. Elle tourna vers moi son visage encore extatique, où le sang maculait le contour de sa bouche.
— Oh genre ! J’ai une capuche quand il fait soleil, j’ai les yeux rouges et tu crois qu’en ville ils sont là « oh elle est particulière l’acolyte de l’Enfant de Dragon ces jours-ci » ?
Sérana leva les yeux au ciel et eut un rire moqueur.
— Il y a une différence, dis-je en gardant contenance, entre soupçonner et constater une évidence.
Sérana me regarda avec de la défiance dans le regard. Je connaissais cet effet ; le sang la mettait toujours dans un état colérique, hargneux, totalement hors contrôle.
— Sérana ? Ne perds pas la tête. La dernière fois ça a mal fini !
Elle pencha la tête en arrière et se mit alors à renifler, humant l’air comme un animal.
— Tu es blessé ? Non ! Ne dis rien, je le sens… ton sang… ton saaan… ton sang !
— Oui je sais, mon sang.
Je regardais le dos de ma main droite où la garde d’une épée ennemie m’avait fait une entaille. Sérana la vit aussi et me prit la main pour la porter à sa bouche.
— Hé ! fis-je. Tu te calmes, Sérana !
— Mmmph ! Argnamgnam !
— C’est bon, c’est bon ! Tu en as eu au moins pour une semaine, là. Allez, stop.
Sérana aspirait mon sang comme une camée aurait léché du skooma renversé par terre.
— Sérana…
Je l’entendis se mettre à grogner et vis les couleurs de sa peau changer, et son ossature apparaître en relief. Je levai les yeux au ciel : le manque la faisait réagir trop fortement au sang, et là voilà qui s’apprêtait à se changer en Seigneur Vampire sous mes yeux. Elle savait se contrôler, je le savais moi-même, j’avais été témoin de sa maîtrise, quand cela importait vraiment. Mais là, estimai-je, elle n’en avait juste pas envie.
Envie ou pas, décidai-je, nous avions un accord. Elle était tenue de remplir sa part, et celle-ci était de résister jusqu’à pouvoir être guérie.
— Sérana, tu vas regretter ce moment, après coup, je te préviens…
Les bruits de succion ne s’interrompaient pas. Elle voulait réellement aspirer tout le sang de mon corps à travers ma blessure sur le dos de la main. J’allais encore devoir acheter une potion médicinale à Arcadia, avec tout ça.
Je pris mon souffle, fermai les yeux, et rassemblai l’énergie en moi. Je la sentis grandir, m’emplir, eus un petit rot et gonflai mes poumons.
— Fuuus… ROH DAH !
Sérana s’envola à plusieurs dizaines de mètres dans les airs et devint très vite un pantin aux bras et jambes écartés, au loin. Avec un soupir, je me mis en route vers la destination de sa chute.

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Bon et y a ça aussi, mais c'est juste pour la blague.
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Mon cœur battait la chamade en entrant dans la maison. Les chandelles étaient allumées, il y faisait une chaleur agréable, dispensée par le foyer au centre de la pièce.
— Oooh, mon thane, je suis si émue, tout cela…
— Oui, c’est pour toi, Lydia. J’ai tout préparé pour notre retour.
La jeune femme d’armes entra à ma suite. Ses yeux brillaient face à de tels étalages ; sa solde de huscarl ne l’avait sûrement pas habituée à un tel luxe. La maison était petite, mais aménagée avec soin. Je voulais que tout soit parfait.
— Vous savez, jamais personne ne m’a témoigné autant de considération, je… je…
— Allons, pas d’effusion. Tiens, assieds-toi ici. Est-ce que tu veux une infusion de lys et de giveboise ? Je l’ai achetée à Belethor ce matin ; tu sais comme il est, quand il veut vendre quelque chose…
— Oui, je vois très bien, répondit-elle en riant. Oh, oui, un infusion, avec plaisir.
— Mais non, tout le plaisir est pour moi, Lydia.
Souriant, j’allai vers le fond de la pièce où se trouvait le poêle à bois afin de faire bouillir de l’eau.
— Je ne pensais pas que vous étiez si… aisé, en or, mon thane. Je sais que le chambellan ne vend pas peu cher les maisons de Blancherive.
— Oh, j’ai récupéré de nombreux trésors, çà et là… répondis-je évasivement. Il faut bien que mes activités aient quelques bénéfices, non ?
— Oui, mon thane. Bien sûr. Vous ne voulez pas de l’aide ?
— Non ! Non, Lydia, reste assise. Je me débrouille très bien.
— D’accord. Désolé, vous savez bien, j’ai juré de porter vos fardeaux.
Nous rîmes tous les deux à cette blague, alors que je revenais vers elle avec les deux tasses brûlantes. J’apparus dans son champ de vision et elle sursauta.
— Oh ! désolé, je ne voulais pas t’agresser… dis-je avec un sourire.
— Oh non, c’est moi, ces journées sur les routes, ça me met sur les nerfs…
— Je comprends, oui.
Le pétale d’obscurcine dans le breuvage qu’elle porta à ses lèvres fit son effet rapidement, et je la sentis se détendre, et ses yeux s’alourdir.
— Tu étais soldate avant de servir le jarl, n’est-ce pas ? Raconte-moi comment c’était, lui demandais-je afin de faire passer le temps.
— Oh, vous savez… je suis parfois encore hanté par le spectre de mon passé, comme vous j’imagine. Non que je sois aussi brave et fort…
Lydia parla longuement alors que son corps s’apaisait. Je me levai alors et, de derrière l’armoire, je sortis la Lame d’Ébonite.
— Oh, voilà une jolie arme, s’étonna-t-elle, quand vous l’êtes-vous procurée ?
Lydia n’eut pas le temps de réagir quand j’abattis le sabre de Mephala sur son crane.
— Désolé, Lydia, dis-je à son cadavre ensanglanté. Mais comprends-moi, il me faut remplir la Lame du sang de la trahison. C’est pour une bonne cause. Merci pour ton sacrifice.
 

Senjak

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Les pas du rêveur


Horius, le corps caché sous d’épaisses couches de fourrures, bravait la tempête de neige. Pour affronter les rigueurs du Nord, il avait acheté pour une somme folle d’antiques oculaires naines qui protégeaient ses yeux. Même dans les régions du nord de Cyrodiil, il ne faisait jamais ce temps infernal. Les gens de Bruma s’étaient bien moqué de lui en voyant ses vêtements coloviens légers. Il avait donc suivi leurs conseils et franchi la chaîne des Jerall pour rejoindre Bordeciel : la province la plus septentrionale de l’empire, la plus dangereuse, aussi. Mais tel qu’il était, à ce point de sa vie, nul danger à venir ne pouvait plus le faire renoncer. Il ne pouvait plus vivre ainsi.
Il arriva au hameau de Heljarchen à la tombée du jour. La neige s’était un peu calmée, et un froid mordant, comme Horius n’en croyait doté que le royaume maudit d’Havreglace, s’était installé.
Lorsqu’il entra dans l’auberge de la Porte Nocturne, il sentit la chaleur du feu et l’odeur de la viande grillée.
— Je cherche un homme du nom de Falcar, dit-il à la serveuse après avoir commandé son repas. On m’a dit qu’il habitait ici. C’est un alchimiste.
— Falcar ? répéta la jeune Nordique à la chevelure blonde tressée. Il habite dans la petite maison près de la route, à l’est du village. Juste après le pont.
Il aurait été plus sage de passer la nuit à l’auberge et rendre visite à l’alchimiste le lendemain, mais Horius ne se sentait pas capable de traverser une nouvelle fois la nuit, et ce qu’elle apportait.
Alors que le soleil avait déjà presque disparu, il sortit de l’auberge et suivit les indications de la serveuse, pour trouver la masure modeste de Falcar. Était-ce enfin le jour ? Le bout du cauchemar ? Il modéra ses espoirs, ceux-ci l’ayant trop de fois déçu, et frappa à la porte.
La personne qui lui ouvrit le fit hausser les sourcils.
— Bonsoir, bafouilla-t-il, désolé de vous dérager si tard. Êtes-vous l’alchimiste qu’on nomme Falcar ?
L’Elfe Noir hocha sa longue tête osseuse sans montrer la moindre expression.
— Je m’appelle Horius, se présenta le jeune Cyrodiiléen. On m’a parlé de vous, en…
— Oui, l’interrompit Falcar d’une voix sentencieuse. Je sais qui vous êtes. On m’a prévenu de votre arrivée. Entrez.
Horius, pris de court, ne se fit pas prier et rejoignit l’intérieur chaleureux de la maison. Il regarda l’habitation, curieux, mal à l’aise, mais en confiance. Il savait que l’immigration des Dunmers vers Bordeciel, après le cataclysme de Vvardenfell, avait fortement peuplé la province, surtout à l’est, près de la frontière. L’histoire de l’empire avec Morrowind, la patrie des Elfes Noirs, avait toujours été compliquée, mais Horius avait toujours été baigné dans le respect de ce peuple et de sa sagesse.
— C’est ce rêve, raconta Horius lorsque Falcar le questionna sur la raison de sa présence. Toutes les nuits, depuis des années. De mystère, il est devenu fardeau, puis hantise, et je le sens aujourd’hui menacer ma s… santé mentale, comme s’il était impatient, qu’il tentait de me f… forcer l’esprit. Cela fait… six années maintenant. La première personne que j’ai rencontrée était une apothicaire de la cité impériale. J’ai pris ses plantes et décoctions pendant des mois, sans résultat. Puis j’ai rencontré un mendiant, une nuit de somnambulisme, qui m’a parlé de rituels gobelins. Heureusement je n’ai pas suivi son conseil. Puis il y a eu une diseuse de bonne aventure Khajiit, un shaman Orque près de Martelfell, et durant ce temps le rêve devenait plus intense, plus réel, et mes phases de somnambulisme étaient de plus en plus problématiques. J’ai fini par suivre l’avis d’un ancien sang-noir, et je me suis rendu en Argonie pour tester la médecine du Hist. J’ai frôlé la mort, et j’ai mis des mois, fiévreux et délirant, à m’en remettre.
» Puis j’ai rencontré cette sorcière… nécromancienne, dans un lieu que… enfin, j’étais vraiment désespéré. Elle m’a dit qu’elle connaissait un ancien Telvanni, un Dunmer du nom de Falcar, exilé en Bordeciel. Et me voilà.

***​

Falcar écouta le récit de l’Impérial sans l’interrompre, même lorsqu’il mentionna le Hist. Il voyait bien à quelle nécromancienne du sud il avait parlé. Si la styx l’avait conduit jusqu’à lui, alors…
— Racontez-moi votre rêve, demanda-t-il alors à Horius.
L’Impérial baissa la tête, silencieux quelques secondes, et raconta d’une voix éteinte.
— Je suis sur les quais d’un port modeste, face à une mer grise, surplombée par un plafond de nuages noirs. J’attends un navire. Derrière moi, la ville d’où je viens est vide, sans aucun habitant. Ses détails varient parfois, mais elle a toujours le même aspect global. Puis je vois le navire émerger de la brume, à l’horizon. Il arrive vite. Je crois que… oui j’ai un long bâton dans la main droite, comme un mage. J’embarque alors, et sur le navire, les marins sont silencieux, hébétés. Lorsqu’un s’adresse à moi, il me parle comme à un seigneur. Pas avec crainte, mais avec respect.
» Après des jours, nous accostons. Là, je… hum… excusez-moi. Les images, dans ma tête, elles me… je… je me tourne vers le navire, et je fais quelque chose. Je ne sais pas quoi, mais tous, Humains, Elfes, Khajiits, meurent en hurlant. Et le pire, c’est le plaisir que je ressens, la joie que cela me procure. Je ris aux éclats.
» Puis je me mets à marcher vers la jungle, sur l’île. Jusqu’à une sorte de temple, je crois, une construction très ancienne, qui…
Horius s’arrêta soudain de parler et ses yeux s’écarquillèrent.
— J’ai vu, dit-il, pensif. J’ai vu une ruine, en venant ici. Je crois que les reliefs, ces êtres gravés, la femme, le magicien…
— Des symboles du panthéon nordique, l’interrompit Falcar. Oui, ils sont très fréquents dans la région.
Horius recommença à s’interroger à voix haute, mais Falcar déjà ne l’écoutait plus que d’une oreille distraite.
Il était là, face à lui. Le Guide. La quête de toute sa vie prenait fin ce jour, après tant d’années. Falcar se retint de sourire, hochant la tête alors que Horius se lamentait de la vision sacrée, de la Carte. Falcar avait du mal à réaliser. Là ? Dans l’esprit demeuré d’un Impérial ignorant ? L’ironie du sort le fit sourire. Toute sa vie avait été une quête sans fin pour retrouver la dernière demeure de Malmeran, le puissant sage Chimer, qui avait vécu des milliers d’années plus tôt. La découverte de ses écrits, puis leur vol, avait causé son exil de Morrowind par le jugement des Tribuns, cent-cinquante ans auparavant. Il était resté ici depuis, dernier endroit mentionné par Malmeran. Il avait attendu la Carte. Le Guide. Celui qui recevrait en rêve le chemin de Malmeran, comme il l’avait prédit, et comme un nouveau Guide naissait, lorsqu’un autre mourrait.
— Je crois que j’ai la solution à votre problème, dit Falcar, à la manière de ces guérisseuses nordiques, dans les cités puantes des Humains.
Horius leva la tête avec un tel air de soulagement et de bonheur sur le visage que Falcar ressentit encore l’envie de rire de sa candeur.
— J’ai ici une potion, dit-il en se levant, qui devrait faire disparaître le cauchemar.
Falcar rêvait, lui, de faire cela depuis des siècles. Sur l’étagère au-dessus de son lit, il saisit délicatement la fiole couverte de poussière, au liquide laiteux.
La Torpeur. Enfin. Ses vingt années parmi les prêtres de Vaermina lui avaient au moins permis de réaliser cela. Ce breuvage attendait, depuis plus de soixante ans, sur cette étagère.
— Je dois boire cela ? demanda Horius avec hésitation.
— Non, le rassura Falcar. Vous allez vous endormir, et je vais boire la Torpeur. Alors je vais voir votre rêve, et au réveil, il ne vous troublera plus.
— Ah, c’est tout ? Quel soulagement, vous ne pouvez pas savoir ! fit Horius. Enfin libéré, et de manière si simple !
— Couchez-vous sur le lit, lui ordonna le Dunmer.
L’Impérial s’exécuta et il ne fallut pas longtemps avant qu’il ne s’endorme. L’alchimiste rassembla ses affaires, impatient, puis, assis sur une chaise, ouvrit la fiole et but la Torpeur de Vaermina.

***​

L’alchimiste vit le rivage, gris, fouetté par les vents, et à travers le trouble du rêveur, il reconnut immédiatement la mer des Fantômes. Derrière lui s’étendait Aubétoile, éteinte, sans âme qui vive. Il se regarda et vit les atours de son ample vêtement, et sa peau claire, signe d’une époque où ses ancêtres Chimers n’avaient pas encore maudit leurs âmes.
Il monta dans le navire, et les humains le reconnurent comme leur maître. Quand ils accostèrent sur l’île rocheuse et glacée, il leur prit leur vie, afin que nul ne sache. Nul autre que le Guide. Il marcha dans les pas de Malmeran, voyant par ses yeux, jusqu’au tertre antique.
Même les draugr s’inclinaient devant lui, et son pouvoir sans limite terrassa le prêtre-dragon qui gardait ce tombeau. Malmeran s’empara alors de la gemme spirituelle qui contenait l’âme d’Alkhinaaz, le premier dragon-tyran de Bordeciel, lieutenant d’Alduin en personne. Puis, le sage immortel aux pouvoirs infinis s’assit sur le trône du seigneur du tertre et attendit.
Il attendit 3612 années.
Falcar quitta le songe d’Horius, et la réalité autour de lui reprit ses couleurs et ses lumières. Le sol de pierre sous ses pieds, le froid de la mer des Fantômes, l’air iodé, et l’odeur de la mort. Il avait réussi. Il avait marché dans le rêve du guide, jusqu’au tombeau de Malmeran.
Le sage immortel n’était plus qu’un squelette desséché. Dans sa main, le sceptre d’Okylos brillait, inaltérable, et la gemme spirituelle d’Alkhinaaz gisait sur le sol.
Malmeran était mort depuis longtemps. Quel sot ! L’âme du dragon l’avait vidé de sa vie, complètement.
Falcar eut un rictus, arracha le sceptre d’Okylos des mains osseuses et serrées de Malmeran, et mourut.
Avec une douleur inimaginable, le Dunmer sentit son âme être arrachée à son corps et, sans avoir la force de hurler, s’écroula simplement sur le sol. Durant un instant, un silence total revint dans la chambre funéraire.
Puis le corps décharné et putréfié de Malmeran s’éveilla. Sa poitrine, se souvenant d’un geste inutile mais bienvenu, se souleva comme pour respirer. Ses orbites vides s’ouvrirent à la lumière ténue et vacillante de la pièce.
Serrant fort le sceptre de sa main cadavérique, la liche se mit debout et toisa le corps de Falcar à ses pieds. Son âme, prisonnière du sceptre d’Okylos, était ancienne et malveillante, suffisamment puissante pour lui.
À ses pieds, Malmeran reconnut la gemme spirituelle du dragon-tyran, et un simulacre de sourire découvrit le restant de ses dents dans une grimace immonde. Trois-mille ans n’étaient pas cher-payé pour un tel pouvoir.
 
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