CHAPITRE III
Jusqu'aux tréfonds de l'âme
"-Bon à rien, butor ! Comment ai-je pu mettre au monde le raté que tu es !"
Les propos obscènes fusaient au domicile des Dorcas. La mère était furieuse du retard de son fils, Igmar. Le jeune homme, frêle, s'était recroquevillé sous son lit, tandis que sa maternelle remuait ciel et terre pour le trouver et le battre.
"-Concentre-toi, concentre-toi !" se répéta-t-il, essayant de canaliser ses pensées sur son haletante et craintive respiration. La peur lui nouait le ventre, désemparé, il savait pertinemment qu'il ne pourrait rester bien plus longtemps dans sa cachette, entre ombres et poussières. Peut-être fallait-il mieux en sortir et affronter son injuste sentence.
"Je...Je suis là !" hurla-t-il, d'un ton assuré. Il dévala les fragiles marches d'un escalier tout aussi poussiéreux que le dessous de son lit et tomba nez-à-nez avec Amalda Dorcas, sa mère.
"-Aaaah te voilà fangeux..."
Après s'être récolté une énorme gifle, le fils acquiesça de la tête. Il n'était pas bien robuste, plutôt frêle, ce qui contrastait avec sa taille car en effet, il était grand pour son âge. Les cheveux noir, le visage d'Igmar était reconnaissable entre mille du fait de ses yeux, d'un bleu royal, perçant et envoûtant. Les tenants de son père Cerreus, ils traduisaient, jusqu'aux tréfonds de son âme, sa bonté de cœur et son espérance en un avenir meilleur. Pourtant, ce soir-là, il ressentait une fureur colossale, une colère, une envie effrénée de s'émanciper de cette enfance torturée. Perdu dans ses pensées, il sembla oublier le corpulent corps qui se tenait devant lui, ainsi que le coup qu'il reçut des hirsutes mains de sa maternelle.
"-Allons ! Comment me regardes-tu ? Benêt que tu es !" s'esclaffa-t-elle, feintant de retenir son rire des plus moqueurs, tandis que son fils serrait ses poings, semblant bouillir de l'intérieur. Amalda le remarqua aussitôt.
"-Mmmh ? Je vais te mat..."
"-Fermes-la pour une fois." fit-il d'une voix essoufflée de colère.
Un silence s'empara du logis. Un long, très long silence. La mère ne quitta plus les yeux de son fils, c'est elle qui désormais, se perdit en pensées. Son fils soutint son regard, comme un défi, déterminé à en finir.
"-Qui crois-tu impressionner hein ?!" Réponds-moi petite raclure !" fit Amalda dans un haut de cœur, s'avançant vers Igmar son fils.
Le jeune homme mit ses mains en faction, prêt à en découdre.
"-Recule." Ordonna-t-il sèchement.
S'arrêtant net, elle n'y croyait pas. Ce petit être, qu'elle croyait de rien, venait de lui donner un ordre. D'un pas décidé, la mère continua sa marche et dans son élan, leva de sa masse son bras, prêt à en découdre.
"Recule !" répétât-t-il instinctivement.
Mais il était trop tard. Le torrent d'énergies qui volait dans son être jaillit inconsciemment, emportant tout autour lui. Le jeune homme ne savait plus très bien ce qu'il faisait. Le son semblait s'être tu, bien qu'il eu l'impression d'avoir hurler comme jamais il ne l'avait fait. Puis cette sensation d'abondante chaleur semblait rayonner de part et d'autre. Enfin, le néant et l'obscurité. Igmar eut l'étrange impression de s'être endormi en lui-même comme pour un éternel séjour dans un lieu sombre et froid, mais dans lequel il éprouva cet inconnu sentiment de bien-être. Il y resta quelques bonnes heures, dans ce "néant-bien-être" jusqu'au moment de revenir à lui. Il s'était assoupi, inconscient, la joue contre le vieux parquet du séjour. Lentement, son corps reprenait petit à petit conscience de l'environnement, retrouvant l'abondante chaleur qui, cette fois-ci, avec moins d'intensité, provint de devant lui. Comme pour découvrir le concret de ce qui venait de se passer, Igmar ouvrit lentement ses yeux. Une énorme masse calcinée se trouvait à terre devant lui. Se relevant aussi vite qu'il put, le fils Dorcas contempla le désastre dont-il venait d'être le responsable. Le logis avait pris feu, mais qu'importe, Igmar examina avec satisfaction son oeuvre, sa première réalisation. Il venait de commettre le matricide de sa vie. La peur et la colère cédèrent place à l'exaltation de la mort. Exaltant, exultant, Igmar se tenait droit devant le gisant, fier de son acte, prenant de plus en plus conscience du meurtre et de ce qu'il en éprouvait. Mais la chaleur devint harassante et l'air impropre, il sortit, couru au plus vite jusqu'aux rives pour s'y rafraîchir, respirant à grands poumons l'air frais du soir, comme pour vivre à nouveau, il plongea sa tête dans l'eau et y contempla les noirceurs tout semblait être au ralentit. Y retirant sa tête, les ombres environnantes et instables des eaux, éclairées de la lune, lui révéla son reflet: ses yeux avaient pâli, comme pour souligner qu'en lui, aux tréfonds de son âme, quelque chose avait changé dans la mort. C'est dans l'étreinte de la mort que naquit enfin la liberté qu'il attendait tant.