Nérévar42
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Dernier Nain vivant et fier de l’être
Chapitre zéro : Un vrai petit Dwemer
Chapitre zéro : Un vrai petit Dwemer
Cela faisait maintenant trois heures entières que Thardac patientait à l’extérieur de la salle, assis bêtement sur un banc en métal aussi inconfortable qu’il était possible de l’être pour un banc en métal, ce qui signifie que son contact pouvait s’assimiler à celui d’un énorme glaçon tordu. « Maudits soient les imbéciles qui ont décrété que tous les meubles des Dwemers devaient être en fer ! » pesta intérieurement Thardac en se levant avant de s’écarter de l’instrument de torture bon marché qu’était ce fichu banc. Ce n’était pas comme si le bois ne poussait pas sur les flancs de Vvardenfell, il y avait des forêts entières tout autour du volcan. La patience n’était vraiment pas le fort de Thardac, aussi commença-t-il à faire les cent pas en tournant en rond comme un automate déréglé.
D’autant plus que la situation dans laquelle il se retrouvait aujourd’hui n’avait rien de courante : il allait avoir un enfant ! Un vrai qui bouge, tout petit, avec la peau fripée et tout ! Voilà bien quelque chose qui n’arrive pas plus de deux fois par vie à tout les Dwemers de cette planète, et pourtant certains essayaient vraiment très fort toute leur vie. Sa femme Iltham était derrière cette porte (« en métal, comme de bien entendu » remarqua Thardac avec un soupir) à souffrir le martyre pour donner naissance à leur enfant, et lui se retrouvait là à faire le planton comme un de ces gardes en armure parfaitement inutiles puisque les animoncules font le travail à leur place. Foutus plantons.
- Détends-toi, frérot, tout va bien se passer ! Iltham est forte et endurante, son bassin est plus solide que les bancs sur lesquels nous sommes assis, alors bois un coup et essaie de penser à autre chose.
Thardac se retourna en entendant la voix de son frère Mtludekh qui, parfaitement détendu en effet, s’était vautré en travers du chemin, obligeant le personnel médical à l’enjamber systématiquement, ce qui avait fait grommeler pas mal de médecins et d’infirmières depuis qu’il avait décidé de prendre cette position – enviable si l’on considérait bien l’état des bancs. Il était surprenant qu’il ne soit absolument pas stressé par la situation, mais deux facteurs venaient expliquer son lâcher-prise : ce n’était pas sa femme derrière la porte qui était en train d’accoucher (tous les soldats de l’armée dwemer étaient célibataires, c’était la loi et ce quel que soit leur sexe), et il était idiot de toute façon. C’était en tout cas la vision des choses qu’avait Thardac en observant son frère jouer avec le casse-tête cubique qu’il avait l’intention d’offrir au nouveau-né. Un casse-tête pour un bébé… pourquoi pas une clé à molette tant qu’il y était ? C’était stressant d’évoluer au quotidien avec des incapables comme ça ! Heureusement que les autres membres de la famille avaient plus de jugeote.
Tout en se faisant cette réflexion, Thardac passa en revue les autres personnes qui l’accompagnaient. Oncle Dupgtm, sa flasque en chaux à la main, frottait son visage rougeaud de l’autre main en étalant gracieusement la sueur qui s’écoulait de son front dégarni sur le reste de sa face resplendissante de bonhomie. « D’habitude, il tient le cognac mieux que ça. » pensa Thardac. Est-ce qu’il était stressé, lui aussi, ou il avait déjà trop bu alors que la fête n’avait même pas commencé ? Les naissances s’arrosent avec abondance chez les Dwemers, mais en général ils attendent que le bébé soit né avant de se mettre minables. Cela étant dit, Oncle Dupgtm n’était jamais ivre au point d’en perdre connaissance, il faisait attention, si l’on peut dire.
Finalement guère rassuré par la présence de son oncle, Thardac jeta un œil à Mémé Gthumz, sa grand-mère, qui toussait si fort qu’il s’attendait à la voir régurgiter ses bronches par le nez à n’importe quel moment. Le chancre des cendres était rare parmi la population d’Alzthamk, la capitale de Vvardenfell, parce que le volcan était endormi la plupart du temps, ou très peu actif. C’était pourtant bien cette maladie que Mémé avait attrapée après avoir passé des années à vivre au bord même du cratère, respirant ses émanations avec entrain sous le prétexte désormais discutable de se dégager l’intérieur des poumons. Un échec lamentable, en effet, qui avait cependant l’avantage d’empêcher Mémé de poursuivre les incessants commérages qu’elle affectionnait tant : tous ses voisins l’entendaient maintenant venir à des kilomètres, impossible pour elle des les espionner sans se faire repérer.
Les parents de Thardac n’étaient pas là : ils avaient déménagé dans la Faille de l’Ouest il y a de ça des années, loin du tumulte de la capitale. Leur fils était sans nouvelles depuis tout ce temps, mais de toute façon il ne les aimait pas beaucoup. Ils étaient trop préoccupés par eux-mêmes et leur vie commune pour se rendre compte de son existence ou de celle de son frère. Ils avaient sûrement oublié qu’ils avaient eu des enfants, chose étrange pour des Dwemers. Mais tout ça n’avait pas d’importance. Il fallait vraiment que Thardac trouve quelque chose à faire avant d’exploser !
L’ingénieur nain allait se décider à relever son frère qui avait commencé à faire mumuse de façon pitoyable et irritante avec son casse-tête, en le faisant rebondir à intervalles réguliers sur le sol (métallique) de l’hôpital, lorsqu’un hurlement tonitruant qui pouvait faire penser à une inspiration désespérée retentit dans la salle, portant dans la totalité du couloir. La tête de Thardac se mit à tourner : son enfant était né ! Il oublia alors instantanément tout ce à quoi il pensait auparavant pour se ruer vers la porte de la salle. Immédiatement, l’imbécile couché en travers du chemin se releva et ceintura son frère de ses grands bras musclés en le comprimant de toutes ses forces. Les pieds de l’intéressé ne touchaient plus terre et il se mit à gesticuler pour se libérer de l’emprise de Mtludekh.
- Du calme, frérot, lâcha posément ce dernier avec un sourire. Je te l’ai déjà dit, ne m’oblige pas à me répéter ou je t’enfonce les côtes dans la colonne vertébrale. Laisse ces braves gens faire leur travail.
- Lâche-moi, gros balourd inculte et ahuri, sac à ignames ! hurla Thardac sans cesser de se tortiller. Je veux entrer et personne ne m’en empêchera ! Je vais enfoncer cette porte !
- Je ne crois pas qu’ils apprécieraient, répondit Mtludekh en riant.
- Je m’en fous, le médecin c’est Blutghamz, je l’aime pas ! Il me marchait sur les pieds en me mesurant quand j’étais petit, ça le faisait marrer, cette espèce de trou du…
À ce moment précis, la porte s’ouvrit et le visage d’une infirmière fatiguée apparut dans l’embrasure. Elle survola la scène du regard mais ne parut pas le moins du monde surprise par la situation, probablement parce qu’elle travaillait souvent dans ce secteur de l’hôpital et qu’elle avait été confrontée à des familles plus nombreuses aux réactions encore bien plus incongrues.
- Ebgernac Thardac Bagarn, je présume ? dit-elle doucement en usant de la formule de politesse réservée aux programmeurs d’animachines. Votre fils vous ressemble beaucoup. Vous pouvez entrer.
L’heureux père ne savait pas vraiment s’il s’agissait là d’un compliment, car son fils (alors c’était un garçon ?) devait davantage ressembler à un guar fripé qu’à un Dwemer à l’heure actuelle, mais il ne s’en formalisa pas et se rua à l’intérieur sitôt que son frère, compréhensif, l’avait lâché.
Iltham, la lumière de son existence, était couchée dans le lit (en métal) et tenait amoureusement le nouveau-né, qui n’était pas aussi fripé que Thardac s’y attendait. Il était même plutôt chou, tout rouge et les oreilles à peine pointues. Et surtout, tout petit. Vraiment petit, l’air fragile, comme un mécanisme complexe qui peut s’arrêter à tout moment, au moindre faux pas. Cette petite chose qui bougeait au creux des bras de sa mère avait besoin d’être protégée, et son père ressentait – pour la première fois de sa vie – le désir d’accomplir ce devoir. Thardac n’arrivait pas à en croire ses yeux, il avait du mal à concevoir le miracle que ce moment représentait. C’est alors que le misérable crétin fini qui servait de médecin-chef à cette clinique prit la parole sans autorisation et brisa toute la magie de l’instant.
- Thardac et Iltham Bagarn, votre fils Yagrum est en bonne santé et il est vigoureux. Laissez-moi vous dire que cela faisait plusieurs décennies que je n’avais pas vu d’aussi beau bébé à Alzthamk.
Thardac ne pouvait pas supporter ce rat puant, arrogant et binoclard par-dessus le marché. Mais ses compliments à l’intention de son enfant et le travail qu’il avait mené pour permettre à celui-ci de naître dans les meilleurs conditions le firent remonter dans son estime. Sur une échelle de zéro à dix… il n’était plus tout à fait dans les négatifs, un événement au moins aussi historique que la naissance de Yagrum dont la date serait décidément à marquer d’une pierre blanche.
Un à un, les membres de la famille entrèrent dans la salle pour détailler sous toutes les coutures le fils de Thardac. Ce dernier ne pouvait s’arrêter de contempler ce qui allait devenir sa principale préoccupation dans les années à venir, devant même sa passion dévorante pour la programmation et l’animachinerie. Soudain, un détail vint extirper Thardac de son rêve éveillé et il tourna légèrement la tête pour s’adresser à sa femme, resplendissante malgré les traces noirâtres nettement perceptibles sous ses yeux, d’une couleur ambrée décidément hypnotisante.
- Pourquoi Yagrum ? demanda-t-il simplement. On avait dit Bchufmen pour un garçon, non ?
Bchufmen était le nom du tout premier faiseur d’animoncules, un mythe dont la source se perd dans la nuit des temps. Les Dwemers d’Alzthamk aimaient raconter qu’il avait été en mesure, à la fin de sa longue vie, de créer une machine intelligente, tellement intelligente qu’il lui avait donné son nom et qu’elle était devenue lui, en mieux. Le tragique de l’histoire était le remplacement total du créateur par sa création, qui finit par se débarrasser de lui en voyant qu’il s’efforçait de rappeler qu’il avait été le premier à exister. Et on dit également que personne ne s’en aperçut, mis à part les shalks que le vieux Dwemer nourrissait le morndas, qui fuyaient à la vue de l’animoncule intelligent assis sur le banc. Thardac aimait beaucoup cette histoire, et s’il souhaitait à son fils d’être aussi capable et astucieux que le premier de tous les animachinistes, il se passerait de ce genre de conclusions malheureuses.
- Une intuition, répondit Iltham en souriant de toutes ses dents. Yagrum est un mélange de ma composition entre deux mots issus de langues différentes. « Yag », c’est la force de la volonté, la conviction en dwemer, tu le sais. Tu aimes bien ce trait de caractère, n’est-ce-pas ?
Thardac acquiesça et attendit la suite, curieux. Le simple fait de voir sa femme s’expliquer en tenant leur enfant dans ses bras lui procurait un sentiment apaisant difficile à définir.
- Rum, ça vient de « ruum », c’est un mot utilisé par les Crieurs nordiques pour invoquer la folie, ça leur confère une aura chatoyante et délirante qui retire tout bon sens et rend complètement gaga. J’ai trouvé ça adorable parce que j’étais persuadée que c’est l’effet qu’il aurait sur toi. Et il semble que j’avais raison, je t’ai entendu débiter des insanités dans le couloir, tu cries plus fort que ton fils.
En entendant ces mots, tout le monde éclata de rire, y compris Thardac. L’heure était aux réjouissances, et si le mélange était inhabituel, il n’en demeurait pas moins astucieux et amusant. Yagrum serait lui et personne d’autre, le nom n’est qu’un moyen, pas une essence. Tous étaient aux anges, ou presque : Mémé pleurait à chaudes larmes, Oncle Dupgtm riait en buvant du cognac (comme d’habitude) et Mtludekh cherchait son casse-tête qu’il avait manifestement égaré.
- De toute façon, hurla soudain Mémé Gthumz qui était aussi sourde que ses poumons étaient noirs de suie, c’est la mère qui décide donc tu ferais mieux de ne pas te plaindre ! C’est comme ça et pas autrement, petit Thardac ! La loi et tout ça !
- Bah moua, rota Oncle Dupgtm, si j’avais pu choisir un autre nom que celui de merde dont tu m’as affublé, maman, bin je l’aurais fait d’abord. Maintenant cesse de chouiner et allons bouère un coup pour fêter ça. J’ai déjà commencé, mais c’était pour vérifier s’il était bon. Ah, d’ailleurs y en a pus une goutte…
Alors que l’oncle passablement éméché renversait tristement sa flasque dans l’espoir vain qu’elle se remplisse comme par enchantement, Thardac vit de nouveaux arrivants faire leur apparition : Kagrénac, son meilleur ami et son collègue de travail, sa compagne Kialgath et leur fils Amtagct. Vinrent ensuite Rthugtumz le tailleur (un des meilleurs d’Alzthamk) et la pédiatre en chef Yorigmha, venus prendre les mensurations de l’enfant. Tandis que moult embrassades avaient lieu dans la salle, Kagrénac s’efforça de repousser Mtludekh manifestement décidé à ennuyer Yagrum avec son casse-tête stupide qu’il venait de retrouver sous une étagère (en métal). Tout en se curant le nez d’un air parfaitement décontracté, Amtagct s’avança jusqu’au couple Bagarn et demanda pourquoi le bébé n’avait pas encore ouvert les yeux. Et pendant que sa mère lui retirait honteusement l’index de sa narine élargie par ses innombrables explorations, Yagrum ouvrit lentement ses petits yeux plissés, comme pour épater la galerie. Ces yeux magnifiques, de la couleur du saphir et ornés d’autant de facettes que le cristal taillé, achevèrent de combler l’assemblée de bonheur.
Thardac regarda tous ces gens réunis ici pour fêter la naissance de son fils et se fit la réflexion qu’en fin de compte, malgré tout ce qui pouvait clocher dans sa famille, il était sans doute le plus heureux des Dwemers et Yagrum deviendrait sans doute quelqu’un d’exceptionnel, à la hauteur de tous les espoirs que l’on portait en lui. L’intéressé se mit d’ailleurs à hurler à pleins poumons, ravageant les tympans de l’heureux père qui commençait tout juste à comprendre ce que cela signifiait.
Yagrum venait de naître, et il était un vrai petit Dwemer.
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